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Le rôt ment
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Le rôt ment
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23 avril 2007

...

skate

Samedi 15h30,
Paris,
Boulevard Malesherbes
:

Descendant le boulevard sur son skate, slalomant entre les piétons, sur le trottoir, évitant les bagnoles et les bus, sur la chaussée, effectuant quelques figures pour passer de l'un a l'autre, Sam est a la recherche d'une boulangerie.

Il s'est réveillé tôt, tout à l’heure, dans l'appartement. Krishna dormait, nue à ses côtés, elle dort, sans doute, encore. Ca roupillait aussi du côté de Stéphane et Angèle, et il ne vit aucune trace de Svetlana.

Alors, n'aimant pas forcément rester en place, et désireux de jouer les lovers attentionnés, il a décidé de sortir acheter des croissants.

Elle a bien mérité son petit déjeuner au lit, la danoise. Je ne sais pas à quelle heure on s'est endormi, mais il faisait jour depuis longtemps et elle était toujours prête à re-re-remettre ça. Il doit falloir avoir le sang chaud pour survivre dans le froid nordique...

Rentrant un hollie, Samuel, remarque l'enseigne lumineuse d'une boulangerie. Skate, sous le bras, il y entre accompagné du son du carillon qui fait se retourner les 3 mamies, déjà a l'intérieur, suspendant ainsi leur discussion passionnée sur la mauvaise réputation du quartier et ses potins... La jeune qui fait office de caissière a l'air aussi peu passionnée que lui par ces commérages, mais il faut bien qu'elle vive, alors elle acquiesce, puis, au bout d'un moment, lassée, elle interpelle le skateur:

"Et pour le jeune homme, ça sera?

-Mais, Mademoiselle, s'insurge une des vieilles a qui l'abus de colorations capillaires donne une teinte violacée a sa coiffure, nous étions la, avant...

- C’est incroyable, renchérit une de ses acolytes, habillée toute fausse fourrure, nous passer devant!

_ Y'a plus de jeunesse, ajoute la dernière, au lifting foireux. De mon temps, on respectait les anciens!"

Et la, contrairement a toutes attentes, devant un Samuel médusé, la petite boulangère se rebiffe. Comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase dans les proverbes, ces petites réflexions retraitées font exploser, en elle, des sentiments mêlés de frustrations, d’humiliations, de dégoût et de colère contenus, jusqu'à présent, grâce à la peur de perdre sa place et de tout ce qui en découle. Mais, seulement voila, en ce samedi après-midi, ça ne passe plus. Elle en a assez et elle le dit, elle le crie :

"Bon, les mamies, écoutez-moi bien: ça fait bien 5 minutes que vous êtes là, à papoter gentiment de-ci, de-ça, de tout, de rien (surtout de rien, mais passons) et c'est comme ça tous les jours. On dirait que vous vous donnez le mot: rendez-vous a la boulangerie, on peut discuter paisiblement là-bas, la Elles ruminent, elles piaillent...:" On n'a jamais osé, grand dieu, nous parler ainsi... Oh... Oh.... Ce n'est pas possible... C'est impensable d'être aussi mal élevée... Non, mais sans blagues... Mais, vous êtes  folle, mademoiselle!... Tant de grossièretés dans une si charmante bouche.... Je suis sure qu'elle couche avec des Arabes... Ou bien... des Noirs... Non, vous croyez'?... Mon défunt mari a fait la guerre.... Leur faudrait une bonne guerre...demoiselle est gentille, pas trop causante, mais souriante, patiente, gentille...

Alors, vous venez la, chaque jour, parfois deux fois par jour, vous mettez une demi-heure à acheter une demi baguette étant donné que vous rencontrez, ici, vos amies. C'est normal, elles aussi, elles n'ont que ça à foutre...

PUTAIN, VOUS FAITES TELLEMENT CHIER CHEZ VOUS? CA PUE LE RENFERMÉ OU QUOI DANS VOS BEAUX APPARTEMENTS!?

Alors, oui, ce jeune homme est entré, et oui je lui ai demandé ce qu'il voulait. OUI, il passe avant vous. NON, je ne respecte pas les anciens débris de votre genre. Je ne vous ai jamais respecté, mais, maintenant je vous le dis :  « VOUS ME SAOULEZ, VOUS M’EMMERDEZ! »

Retrouvant son calme et son sourire, après une brève respiration, elle s'adresse a Sam:

"Et pour le jeune homme, ça sera?"

Merde, on peut dire qu'elle a du cran cette fille.

Il est subjugué.

Le petit troupeau de vieilles, offusqué, trépigne sur place. Elles non plus, n'en reviennent pas. Elles sont outrées, choquées, touchées en plein coeur.

Ignorant les japissements et la consternation des clientes du troisième âge qui n'en finissaient pas, la caissière, réitère sa demande a notre Samuel qui, ayant eu une courte nuit, commence a sortir de son mutisme pour bafouiller ceci:

 " Je vou... je vou... heu... je voudrais des croi... des croissants, s'il vous plaît..

- Bien sur, hurle-t-elle afin de couvrir les braillements de protestation des mamies. Des croissants. Vous avez de la chance, aujourd'hui c'est la maison qui offre. Vous avez entendu, les grand-mères?"

Et, elle commence a prélever les croissants de la vitrine pour les ranger dans un grand sac a pain. Elle dévalise, tranquillement, le stock de croissants, beurre et sans beurre. Alors qu'elle attrape le dernier, une des clientes apostrophée, prend un air solennel et la parole:

" Mademoiselle, je ne sais pas si c'est sous l'effet de consommation de drogues ou si vous avez réellement des problèmes, mais sachez que votre attitude est inadmissible et que vous entendrez parler de moi, Mme Veuve Ikalevinsky, Simone.

- Ah, ouais, ben moi je ne sais pas si c'est l'excès de connerie ou de vieillesse qui vous ronge, mais, je peux vous dire que vous n'entendrez plus parler de moi. Je démissionne, je me tire... Marre de supporter des mamies toutes la journée pour un salaire de misère. Alors, ciao les vioques. Bonjour chez vous."

Sur ces paroles, elle escalade le comptoir, tend le sac d'au moins une vingtaine de croissants a Samuel et lui dit:

"Vos croissants, Monsieur... Allez, on se tire. Tu sens pas cette odeur de moisi?"

Et elle sort de la boulangerie, faisant signe à Samuel de la suivre. Ce dernier ajuste le temps de remarquer, avant de refermer la porte derrière lui, que cette dernière phrase a provoqué un évanouissement de la vieille aux cheveux violet, et la panique de ses congénères. Ses croissants dans une main, son skate dans l'autre, cette jeune fille, ma foi plutôt mignonne, a ses côtés, Sam, encore tout pantois devant tant de rage, s'adresse, finalement, a celle qui vient, sous ses yeux, de rompre définitivement avec son travail de façon assez fulgurante:

" Putain... T' y est pas allé de main morte avec ces mamies. T'a vu? Je crois qu'y a une qu'est tombé dans les pommes...

- Franchement, je me fous, répond-elle, toujours en souriant. Je suis sur qu'elle va s'en remettre. Tu m'étonnes avec tout ce qu'elle va avoir a raconter... Ca va bien les occuper ces connes...Enfin, un événement dans le quartier.

Ouais, mais quand même... Toi, doit pas falloir t'emmerder...

- En fait, non. J'ai un caractère de nature calme, limite réservée. Le genre à sourire en toute situation, quoi que je pense à l'intérieur. J'ai tendance à me résigner, à attendre que ça se passe, à attendre de jours meilleurs.

Mais la, je ne sais pas ce qui m'a pris. C'est venu tout seul. Ce que d'habitude je pense en moi-même, sans ne laisser rien transparaître à l'extérieur, qu'un sourire dentifrice, là, je l'ai formulé à voix haute en ne pensant à rien. C'est bizarre, mais c'est sorti comme ça...

"Au fait, moi c'est Isabelle." Et décrochant le badge éponyme de son corsage, elle le tend à Samuel: " Ben, moi, c'est Sam. Enchanté.

-,Te te jure, Sam, ça fait un bien fou! Je viens de renaître, la. Je me sens différente. Une nouvelle Isa. Finie, la potiche. Merde, on n'a qu'une vie... Sérieux, je ne vais pas gâcher ma jeunesse à servir la vieillesse. Ah, quel soulagement! T'as jamais eu envie, toi, de cesser d'être passif, de devenir actif, d'aller jusqu'au bout des choses?

- Ben, tu sais, moi, j'ai jamais eu trop l'occasion d'être passif. Je ne sais pas si je vais, comme tu dis, jusqu'au bout des choses, mais j'évite, au maximum, de rester inactif...

- Tu m'as l'air plutôt calme pour quelqu'un de si actif..

-Hey, j'me réveille, moi, et puis t'avouera que d'assister à un tel truc, ça laisse sur le cul, non?

- Ah, ça, les vieilles, elles le sont, sur le cul... Ah... ah... Sinon tu fais quoi, toi, comme boulot? - Moi? J'suis étudiant, en histoire, principalement...

- Ah bon? T'as quel âge?

- Moi, 22, ment-il, et toi?

- 23

Tiens, je l'aurais cru plus jeune. J’aurais presque pu lui avouer mes 27 ans. Tant pis...

Ignorant la pensée de son interlocuteur, elle continue:

"Moi, depuis peu, je suis chômeuse... Tiens pour fêter ça, je te paie un café, avec les croissants... - Ben, écoute, j'aurai bien voulu, cela aurait été avec plaisir, mais je crois que ça va être pas possible... " Un bref silence, puis, Sam, reprend:

" C'est bête, on m'attend, déjà, avec ces croissants...

- Ah, ouais je comprends, répond Isabelle, un peu déçue, baissant, du même coup, l'intensité de son sourire. - Je sais, c'est con, approuve Sam, tout en se demandant s'il n'aurait pas du accepter la proposition de cette demoiselle, qu'il trouve, d'ailleurs, charmante et qui semble éprouver semblable sentiment a son égard.

- Bon, ben ça sera pour une autre fois, réplique-t-elle, à nouveau enjouée, comme si elle possédait un don de. télépathie, ou plus simplement, comme si l'émotion de l'étudiant attardé était visible " 

Elle récupère son badge de la main de Samuel, sort un stylo et en dessous de son prénom, y inscrit son numéro de téléphone, elle la repose, ensuite, la ou elle l'avait prise, tout en déposant un baiser furtif sur sa joue:

" Salut, alors. Bon petit dej'. Appelle quand tu veux, lance-t-elle avant de s'engouffrer dans une bouche de métro devant laquelle ils s'étaient arrêtés.

- Je n' y manquerai pas, pense Sam, et la regardant disparaître, déclare à très

haute voix : "Merci pour les croissants", pas du tout persuadé, qu'au milieu des bruits de la rue, son remerciement lui soit parvenu. Mais bon, c'est l'intention qui compte.

Puis il reprend sa route, en marchant.

Fais chier. Une montée, pas moyen de rider.

Bon, finalement, je m'en tire pas trop mal de cette balade matinale (en plein après-mid).. D'abord j'ai eu droit a un spectacle rare de rébellion, puis à des croissants gratos et pour finir le numéro de téléphone d'une jeune fille.

Rien que du sympathique... Et puis, y'a Kristina qui m'attend dans son appartement.... J'espère qu'ils ont faim, là- haut, parce qu'on a des croissants pour tout le week-end, là….

croissants


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