...
Samedi 14h45
Un studio dans un immeuble standing,
RN20, Antony
F |
red, sirote
paisiblement sa troisième bière de la
journée devant un match de rugby
Toulouse-Carcassonne retransmis par la télévision d’État, tandis que Julien s’assainit sous l’eau
brûlante.
Il s’est levé vers midi, couché à 7h00. Mais il s’estime reposé et en bonne santé.
Paré à toute éventualité.
Il s’est vite enfui de chez lui, une petite pièce minable,
et est allé au bistrot, juste en bas de son immeuble. C’est
d’ailleurs fait exprès, ce bar-tabac. C’est même ce qui l’a poussé à s’installer ici, malgré l’aspect pitoyable et minuscule de son
logement. Au moins, y a un bistrot,
pas loin.
C’est sa deuxième maison a Fred. C’est la qu’il s’est
trouvé une famille. Il y a ses
habitudes, maintenant, et, depuis peu, une
ardoise.
Il est monté
en grade (la maison ne fait pas crédit c’est écrit),
il est devenu un meuble du lieu, tout
autant que Riton le Chanceux (il
pense être cocu et par conséquent, gagne souvent au tiercé), Francis l’Artiste (il écrit et il gribouille
sur les vieux numéros du Parisien qui traînent
sur le comptoir), ou que Tonio « C’est
ta tournée, ou bien? » (dis, excuse-moi j’ai pas un sou, c’ est ta tournée ou bien?). tournée, ou bien?" (Dis, excuse-moi j'ai
pas un sou, c'est ta tournée ou bien?).
Il est devenu le gosse beau ("et
oui, les gars, elles sont toutes folles de moi!".
Ainsi, vers midi et demi, a
l'heure de l'apéro, il est descendu au "Bar du Coin", et pour
commencer la journée, a pris deux demis en compagnie de ses amis de zinc, tout
en essayant de refourguer, pour la énième fois, une de ses cartes de
visite a Jessica, la serveuse, blasée, mais amusée.
Il est resté plus d'une heure
à raconter des conneries a des
personnes qui soient n'en avaient rien à foutre,
soient en déblatéraient de plus grosses.
Ah, la bonne vieille ambiance du bar de proximité... Les bonnes vieilles
blagues bien grasses... Les bonnes vieilles cacahouètes
bien huileuses...
L'écran du PMU, dans un coin
de la salle, aimante le regard de vieux rebeus et portugais qui espèrent,
derrière leurs cafés ou leurs canons, qu'une hypothétique combinaison gagnante
les ramènera, un jour, au pays... L'entrée remarquée et parfois sifflée de jolies filles au tabac: "Un Marlboro light s'il vous
plaît.."... Les discussions
animées sur des sujets peu enflammant... Les odeurs mélangées de café, de bière, de vinasse, de tabac blond, brun, chaud, froid; celle de la
transpiration des travailleurs
masquée par d'horribles after-shave bon marchés...
Ah... L'atmosphère des troquets... Il s’y sent bien, il est dans son
élément.
Fred aurait aimé travailler
dans un bar, comme serveur ou barman. Boire à l'oeil toute la journée, servir des jolies filles, discuter
avec les piliers de comptoir, être de l'autre côté du comptoir, manier le jet a
pressions... La vie de rêve, quoi!
Assumer sa vie d'alcoolique... Le patron de bistrot est un peu le
dealer du buveur, et même plus encore.
Il vous donne bonne conscience de boire. Si j'arrête de picoler. Qui lui
permettra de vivre? Il y a tant de cafés qui ferment, les gens préfèrent la télévision.
Alors, se rendre dans un débit
de boissons devient un acte politique.
Soutenons le
petit commerce! Tissons des liens de voisinage! Tisons!
Et, Dieu ou le Diable, sait que
Fred se tient à cet adage, fort bien d'ailleurs. On peut même affirmer
qu'il
tient bien, tout simplement Il a une bonne descente. A défaut de voir
des éléphants roses, il a de commun
avec les ivrognes et les pachydermes son taux de tolérance élevé quant a
l'absorption d'alcool par son
corps.
Un peu
plus d'une demi-heure plus tard, quand Julien ressort de sa douche, tout beau,
tout propre, et mal rasé, Fred, quittant ses réflexions, passant à la
pratique, lui demande s'il veut la dernière bière. "Non?
Je la bois, alors."
Son copain préfère rouler un
joint. Il cherche dans un emballage de kleenex une tête de skunk qui lui a été
généreusement offerte par Paul, ce matin.
Fred décapsule, a l'aide d'un
briquet, sa nouvelle bière en rotant. Julien tire sur la première
latte du pétard en pétant. Et ils se marrent:
" N'empêche qu'il a assuré
l'ami Paulo, carotter un facho! Il doit être vachement fier de lui,
pour une fois qu'il réussit un truc.
- Tu m'étonnes, réplique Fred, en buvant une gorgée
qui lui macule la lèvre supérieure d'une onctueuse mousse.
Tu m’étonnes..."