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Vendredi, 13h30,
Station Antony, ligne B du RER :
Sur le quai, la télé des horaires des trains indique
que la rame de 13h30 est sur le départ .Dans le wagon, où résonne la sonnerie
de fermeture des portes, un jeune tout en jogging et casquette jaune
s’introduit in extremis entre les battants qui se ferment. Le RER repart. A
cette heure-ci, les rames sont plutôt vides. Hormis le jeune qui vient de
rentrer, il n’y a qu’une dizaine de voyageurs : 2 ou 3 mamies égarées,
quelques chômeurs à sac Tati et autant de visages éteints. Parmi tout ce petit
monde banlieusard, le non moins banlieusard Samuel, casque sur les oreilles
d’où détonne le dernier son de Busta Rhymes, examine par la fenêtre les tags et
graffs bombés à l’arrache sur les moindres murs et autres supports bordant la
ligne (poteaux, blocs électriques, panneaux, cailloux, bâtiments, grillage).
C’est un regard d’observateur, de connaisseur,
d’amateur, limite de critique d’art. Il
passe ainsi chaque trajet à guetter les nouveaux, traquer les vieux repeints,
repérer les old school ineffaçables,
car respect, y represent grave. Il s’amuse à lister les noms des taggers, de
leur crews, ceux qu’il connaît, ceux dont les membres sont des potes, ceux
qu’on n’aime pas. Puis de temps en temps les siens, très peu, surtout des tags,
des vieux un peu effacés, pas forcément les plus beaux. D’ailleurs, bien qu’il
essaie de repérer les rares et précieux espaces encore vierges, sans nom, sans
peinture, et qu’il y cherche un accès
possible, le tag n’est pas vraiment sa passion, plutôt une vieille occupation
un peu délaissée. Il a pourtant passé bien des soirées à repeindre sauvagement
les murs, le sac à dos rempli d’aérosols et d’embouts, à jouer au chat et à la
souris avec les maîtres-chiens de la rapt. Et des après-midi au centre auto de
chez Carrouf à tirer des bombes sous le nez des vigiles quand c’était un ado
révolté.
Le temps a un peu effacé cette frénésie vandale et
scripturale. D’ado révolté, Sam est passé à l’ado attardé. Et si il a un peu
laissé tomber Messa One et Be hatch (son pseudo de guer-ta et le nom de son
crew), par contre il est toujours resté scotché à sa planche à roulettes. C’est
d’ailleurs pour ça qu’il est là, dans ce wagon filant vers la capitale, son
skate sur la banquette orange, sa casquette, grise, sans marque, posée un peu
de côté sur sa tête. C’est pour aller skater, faire des hollies, des 3-6 flips,
des grinds, puis éventuellement aussi, autant joindre l’agréable à l’agréable,
pour essayer de capter le numéro d’une meuf impressionnée, par sa dextérité,
son sens de l’équilibre, et la nonchalance avec laquelle il effectue toutes ces
figures.
Le RER arrive à Châtelet-les-Halles, la plus grande
gare souterraine de France, traversée chaque journée par des millions de
personnes, squattée par des milliers. Au milieu de toute cette faune urbaine,
des flics sur-vigipiratisés, cailleras sur-portabilisés, cadres
sur-attaché-caissisés, travailleurs sur-fatigués, mendiants sur-médiatisés,
musciens sur-sonorisés, parisiens sur
pressés, Samuel, éternel jeune sur-attardé sort du trou-forum des Halles,
escalator sous ses pieds, skate sous son bras et se dirige vers la Fontaine des
Innocents. La fontaine, quoi ! Ultime spot de skateurs connu de New York à
Sidney. Sam le pratique surtout pour la drague, pour les sessions plus
techniques, il préfère des spots plus underground. Mais pour serrer des nanas,
la fontaine, tout le monde le sait, c’est l’endroit idéal pour draguer des
provinciales esseulées ou des étrangères avides de french lovers.
Que demandent les jeunes ? Sex, drugs
and having fun my dear!
Justement, alors que Sam ride autour du jet d’eau,
parmi la racaille et les flics, à côtés de japonais nikonnisés et nikonnissant,
il remarque bien vite une jolie demoiselle d’un vingtaine d’années, poitrine
blottie sous tee-shirt moulant taille xxs marqué BEACH, nombril percé et
tatoué, baskets no name grises flashy aux pieds,
cheveux bonds au carré, sourire dentifrice admiratif, yeux bleu-vert fixés sur
lui. Et hop, voilà, le tour est joué, un petit 3-6 flip bien rentré plus tard,
le voici assis auprès de Kristina, étudiante en art contemporain à la Sorbonne,
quittant ainsi son Danemark natal pour 6 mois, loin de sa famille et qui
cherche des rencontres en faisant semblant de lire Kierkegaard en version
bilingue sur les marches de la fontaine.
Et que blablabla, et que blablabla, dans un mélange
franco-anglo-germano-danois et qu’on aille boire un coup en terrasse, et que
re-blablabla, et que je t’invite à une super nice schöne soirée party, yes, heute night, near Paris, a big baraque, yes, ja, mitte with
eine swimming pool, et que je te do you have eine maillot de bain ? you
know, un comment on dit déjà, a swim wear, alse skate-wear is wear für skating,
swim wear is wear for swimming,
Mais, la belle nordiste, n’a justement pas de
Badeanzug, et que je te it’s tombe gut. Paris, the town of das wear.
Let’s go zum kaufen eine maillot of swim au forum.
Et
voilà, le Sam, la beau gossitude en force, qui s’engouffre accompagné de son
skate sous ses pieds en équilibre sur les marches et de Kristina sur la marche
au dessus dans les profondeurs des Halles, via l’escalator blindé de people.
Yes I, voilà une soirée qui s’annonce bien.
Elle
doit assurer la belle danoise en monokini en forme de string.