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Vendredi 13h30,
Boulevard Périphérique,
Quelque part entre Porte de Bercy et Porte de
Bagnolet :
Saloperie de moto en
panne ! Saletés de voitures en marche ! Ou plutôt à l’arrêt, au
taquet, cul à cul. Périph’ bouché ! Pourquoi tant de gens prennent leurs
mères de voitures à c’t’heure ? Fais chier merde ! Je vais encore
être à la bourre au boulot ! Et on va dire qu’j’le fais exprès !
Putain, c’est ma faute à moi si tous ces cons à quatre roues bloquent les trois
voies ? Fais chier, merde ! Bite ! Couilles ! Chatte !
Dire
qu’en ce moment, 13h30 sur le panneau lumineux « Périphérique
bouché », les sentiments qui traversent les pensées de Tim ne sont pas celles de la joie et de l’allégresse ne serait qu’un doux euphémisme.
Il
est véner, Tim. Bloqué dans la caisse à savon de sa mère, qui lui sert de moyen
de locomotion depuis que sa moto l’a
lâché. Deux mois déjà. Il est prêt à péter un câble.
Pourtant,
Timothée De Latour, Tim pour tout le monde sauf ses parents et sa grand-mère, a
tout pour être heureux. Une jolie copine qui l’aime et qu’il aime. Un taf
cool dans une branche qu’il aime et
qu’il a choisi, des horaires décalés comme il les aime, un bon salaire qui lui
permet d’acheter ce qu’il aime.
Par
contre, le voilà bloqué dans les embouteillages comme il le déteste. C’est un
jour gris, comme il les déteste. Il s’est levé à l’arrache, au dernier moment
comme il le déteste, car dans ces moments qu’il déteste, il n’a pas le temps de
se faire un bon café noir, comme il aime, ni de rester 20 minutes dans son
bain, comme il aime, et ainsi développer des projets qu’il aime dans sa tête.
Il
déteste ne pas faire ce qu’il aime autant qu’il aime ne pas faire ce qu’il
déteste. C’est un peu une philosophie de vie, comme qui dirait, une façon, non
seulement de voir les choses, mais aussi, comme il aime à le répéter, une façon
de les vivre.
Ca y est, c’est sûr, là, maintenant, j’suis à
la bourre, fais chier ! En plus, j’le savais, ça craint d’arriver en
retard aujourd’hui. Y vont faire la
gueule à Wistiti Prod’, c’est clair ! Les remarques, ça va encore être
pour ma tronche…
Trois
quarts d’heure plus tard, dont 41 minutes de bouchons, la barrière du parking
refuse de s’ouvrir pour laisser entrer Tim et sa voiture. Sa mère !
obligé de descendre de caisse pour appeler le gardien qui va encore me vanner
vu qu’j’ai une fois de plus oublié ce putain de code.
Sa
voiture parquée, Tim fonce direct à la cafèt’, histoire de prendre un ou deux
cafés vite avant de croiser le regard de l’équipe de tournage sûrement furieuse de son retard. C’est pourtant cette fine équipe qu’il retrouve attablée
devant des demis entamés voir finis :
«
Ah, Tim, scande le chef caméraman, viens t’asseoir, espèce de vieil
arrosoir ! On s’attendait plus à te voir, plus d’espoir ! Alors,
panne de réveil espèce de carte vermeil ?! Nuit difficile espèce
d’ustensile ? Périph’ surchargé, espèce de point g ?
- Putain, m’en parle pas,
les trois, putain les trois ! D’ailleurs, si ça a pas commencé, j’vais
pouvoir me prendre au moins trois
cafés. Au fait, ça a pas commencé ?
- Si, si, on y est, espèce
de duvet ! Tu vois pas qu’on bosse dur, espèce d’ordure ! Ca carbure,
c’est trop dur, mon enflure.
- Non, sérieux…
- Sérieux ? Espèce de
lépreux, on chôme on ne peut mieux. On attend môssieur…
- Moi ?
- Mais non, pas toi,
espèce de n’importe quoi, toi, on s’en bat ! On attend, espèce de gland,
le réalisateur, monseigneur le branleur.
- Ouf, tu me rassures,
Bob, lâche Tim, en vidant d’un trait son premier café et allumant sa douzième
clope de la journée.
- Arrête de flipper,
espèce de flipper ! T’es toujours à la bourre, mon balourd. Mais ce quart
d’heure de retard, espèce de glandeur vantard, on en fera pas une histoire à ta
gloire, ma passoire. »
Ainsi rassuré, l’ami Tim prend place à la table de ses
collègues et sucre tranquillement son deuxième café. Comme eux, il écoute Bob
déblatérer ses désormais habituelles conneries matinées de rimes aussi
foireuses et vaseuses que peu injurieuses.
Il a mis du temps à s’y faire, Tim. Non, le
cameraman number one ne le considère
pas comme un indien lorsqu’il lui demande s’il va bien, ni comme un aspirateur
lorsqu’il demande l’heure et encore moins comme une vieille serpillière quand
il raconte sa journée d’hier.
Non, il est comme ça le Bob. C’est son style, sa
touche personnelle, son originalité. D’ailleurs, grâce à sa pratique bizarroïde
du langage, Bob, l’espèce de blob, est devenu une figure de Wistiti Production.
C’est comme ça le showbiz, espèce de pare-brise, t’es
pas original, c’est le fond du bocal, les oubliettes à mon âge, ce serait bête,
dommage, espèce de potage. Sacré Bob, sûr qu’il parle ainsi, même au lit,
espèce de parapluie.
Tim
s’allume maintenant sa quinzième cancérette, il a fini de boire ses cafés, et
comme le temps, rien ne se passe, il fait comme ses collègues, il se prend un
demi.
Putain, on n’est pas couché, la journée n’est pas
commencée. Fais chier, allez autant picoler !
« Et toi, kess tu fais ce soir, espèce d’arrosoir ?,
l’interpelle Bob
- J’sais pas trop, ça
dépend quand on fini ce soir...
- Tu vas traîner dans les
bars, à la nuit noire, au zanzibar ?
- Non, non, j’ai un plan
soirée dans une baraque avec piscine près de Saint-Rémy-Lès-Chevreuse. Mais
j’sais pas trop si j’vais y aller, j’suis naze, pi j’ai des trucs à faire. Et j’dois choper mes potes, voir avec
ma meuf…
- Allez, sois pas con,
espèce de plafond, touche pas le fond, éclate-toi à fond, espèce de
poltron !
- Ouais, j’sais pas,
j’vais voir ».
Un signal lumineux indiquant le début imminent du tournage au studio Michel Drucker
interrompt la conversation. Cela signifie que môssieur le réalisateur (espèce
d’ascenceur), vient d’arriver et qu’il attend l’équipe technique pour enregistrer
un magazine de la chaîne caninophile « Tout, Mais Tout tout pour les
toutous » (TMTTPT pour les intimes). Comme c’est le principal client de la
boîte de prod’, la fine équipe prend le chemin du studio Mich’Druck’ emmenée
par son chef poéto-caméraman. Tim, assistant-cadreur finit son demi vite fait et s’engage à la suite de ses collègues.
Et c’est parti pour plusieurs heures d’enregistrement
à raccorder fils, caméras, câbles, films, etc.…
Et ce soir, j’fais quoi ? J’ y vas à cette soirée
ou je reste scotché comme un espèce d’….