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Le rôt ment
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Le rôt ment
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1 avril 2007

.....la suite

Vendredi, 13h30,

Un entrepôt au cœur d’une zone industrielle.

 L’horloge, sur le quai, indique 13h30. D’ici une à deux minutes, tout le monde sera revenu du vestiaire. Les plus vieux auront enfilé leur tenue de travail. Les plus jeunes y auront juste pris leurs gants, restant en jogging, blanc donc salissant, mais Lacoste, quoi, la classe. Paul, lui arrivera direct à 13h34, heure du quai, sans passer par la case vestiaire. Il enfilera, lui aussi ses gants. Les sortira de la poche arrière de son pantalon troué et sali par plusieurs semaines de chargement et déchargement de cartons.

Depuis les trois mois qu’il bosse là, il a, d’ailleurs, toujours les mêmes fringues. Son uniforme de boulot. Propres le lundi. Sales et poussiéreux le vendredi. Un tour en machine le week-end pour un minimum d’hygiène. Et hop, nickels le lundi.

Pendant ces trois derniers mois, Paul n’est jamais allé au vestiaire. N’a pas pris le casier qui lui a été attribué. Histoire de ne pas prendre de racines, de repères. Se donner l’impression de n’être qu’en transit, de passage, sans attaches. Prêt à repartir vers de nouvelles aventures. Pourtant, chaque vendredi, tout comme ce matin, il re-signe son contrat d’intérim ; immuablement.

Et c’est reparti pour l’aventure et quelle aventure !

Sur le quai, cet aprèm’, il reste encore un camion à décharger. Un rital. Un beau bordel dans le semi-remorque. Des cartons tout petits mélangés à de trop gros fourrés en vrac dans le camtar. Des numéros de colis figurant sur les registres, d’autres non. Un amas de poussière terrible. Un chauffeur italien pressé de se faire vider et repartir à travers les alpes pour rentrer chez lui au plus vite. Un petit chef à la masse, c’est vendredi : le midi est souvent arrosé. Bref, un sale boulot. Foutre tout ça en palettes en trois heures. Une tâche plutôt réservée aux intérimaires de courte durée, ceux qu’on reverra plus. A qui on peut faire faire toute la merde, puisqu’il faut bien la faire. C’est le taf, pas la teuf. Mais bon, Paul, malgré ses trois mois de boîte, un des plus ancien intérims de l’équipe, à part les embauchés, est toujours bon pour la corvée. Réquisitionné pour le déchargement de l’italien du vendredi après-midi. Il s’en tape, Paul. Il ne parlera ni aux vieux, ni aux jeunes cons. Il fera son taf, c’est tout. Et c’est déjà beaucoup.

Il s’en fout, Paul. On est vendredi, il lui reste 3 heures à tirer, maximum 4, s’il manque un bon de livraison ou une autre connerie dans le genre. Et puis, c’est le week-end. Tant attendu. Le but de la semaine, les seuls jours qui vaillent la peine d’être vécus. Du dimanche soir, au moment du coucher, au vendredi après-midi, il ne pense qu’à ça : LE WEEK-END !!!

Pour lui, la vie, n’est réellement réelle que du vendredi 16h30 au dimanche 20h.Le reste, rien à branler. Faut bouffer. Juste un mauvais temps à passer. Comme il aime à le répéter, en poussant les portes de l’entrepôt, il déconnecte son cerveau, appuie sur la touche off. Et parfois, pour l’aider, il se fume un petit stick pour la forme. Ne le charge pas trop, juste ce qu’il faut pour ne pas trop penser. Aidé par la fatigue et l’ennui. Ca lui suffit, ce petit ke-sti jeté sur le parking, comme aujourd’hui. La substance agit. Et Paul subit, agit au ralenti.

Mais, on ne peut pas dire qu’il fasse mal son sale boulot de manutentionnaire, de docker de terre. Non, il le fait plutôt bien. C’est juste que son esprit n’est pas là. Il ne met aucun cœur à l’ouvrage, il exécute. Prolétaire intérimaire. On peut tout lui demander, il le fait sans aucune passion. Pas de zèle. Pas de protestations. Ici, il n’a pas que des amis. Les autres manuts’ le prennent pour un suppôt du patronat, les petits chefs le méprisent.

Paul, lui, il s’en tape de tout ça. Y joue pas sa vie. Il bosse. Point. Les yeux rougis par le pétard, la gueule salie par la poussière, les jambes flasques de fatigue, de défonce et de lassitude, son esprit est ailleurs. Ne pense à rien, juste effectuer des tâches mécaniques, physiques. Faire abstraction du milieu l’environnant.

Et puis, c’est vendredi ! La semaine est bientôt finie. C’est le week-end. Il a un plan pour ce soir. Une super soirée bien chan-mé. Dans la vallée de Chevreuse, une baraque avec piscine. Il ira avec ses potes, et là, il remettra son cerveau sur la touche on. Fonction marche accélérée. Prêt à tout péter ! Bien foncedé pour bien en profiter.

Dans son camion, sortant des cartons de chaises, Paul sourit. On est vendredi ; CE SOIR C’EST LA TEUF !!!

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